Les Confettis meurent aussi
Dominique Lacoudre

Des petites maisons parsèmeront le lieu de l'exposition, elles seront en volume ou dessinées, elle seront colorées, elles seront fort nombreuses. Il y aura aussi beaucoup de confettis, comme des chemins s'amorçant à la porte de la maison, dans les dessins des enfants …

Le point du confetti, c'est le signe coloré qui dit « je suis ici », remis dans le sac avec les autres, perd-il son sens ? En acquiert-il un autre ? Veut-il dire « je suis perdu » … ?

D'une exposition en préparation avec Dominique Lacoudre, je ne peux en parler qu'au futur, car chaque nouvelle rencontre est en quelque sorte un nouvel épisode qui complète et chamboule le précédent. Ainsi, nous avançons vers une exposition de toute manière protéiforme. Le dessin, bien sûr, le trait et la couleur. Il va probablement tout envahir, du mur il va couler au sol, devenir installation. Des motifs récurrents : des maisons, des chemins, des arcs-en-ciel, des animaux … une arche de Noé, un cheminement, une promenade, de la musique peut-être, répétitive. Il est ici de l'exposition comme un cheminement d'idées, de questionnements. Le je, le nous, ici, là-bas, aller, pourquoi, habiter, penser, être là, comment … Et naît ainsi dans un ordonnancement somme toute logique un positionnement au monde, une éthique, celle de toujours se poser la question salutaire : qu'est ce que je fais là ?

Et puis des films aussi. Dominique Lacoudre se filme, bras tendus. Il est le point fixe, le centre, il fait un tour sur lui-même, une boucle, un cercle parfait. Lui et les alentours. Lui au centre, le lieu devenant anecdotique, accessoire, métaphore du tourisme, du déplacement. Signifiant que dans le « je suis ici », le je prédomine, le jeu dérisoire du rôle social d'y être allé. Les films s'enchaînent en boucle. Ici ou là, peu importent, seul le je reste net et visible, au centre.

En légende d'un dessin de Dominique, il est écrit j'aimerais être un arc en ciel comme ça je comprendrais pourquoi je suis éphémère.

Sylvie Corroler

Photos d'exposition : François Talairach

 

MEDIATION

 

>> édition d'un catalogue : "J'habite ici". Fondation espace écureuil, 2013
"Lendemain de fête", texte de Benoît Decron.

en vente à la Fondation (2 euros)

 

Catalogue de l'exposition

" J'habite ici "

Édition d'un catalogue produit par la Fondation espace écureuil et lié à l'exposition "Les confettis meurent aussi", texte de Benoit Decron, "Lendemain de fête", 2013

En vente à la Fondation (2 euros)

Lendemain de fête

Les confettis meurent aussi : comme les oiseaux se cachent pour mourir. Nous sommes habitués aux fracas de la fête, à son faste infatué, aux gesticulations et à la démonstration. Aux couleurs qui fusent et se dispersent aussi sec, aux stroboscopes épileptiques et aux corps fébriles qui se collent et se desserrent. Musique à tombeau ouvert, on danse borderline. Comme de beaux lézards en assemblée branchée, on doit s'épancher, s'époumoner, forcer le regard, jouer au héro, Ego de la fête. The place to be. On se doit d'être raccord avec la musique, avec les substances, avec l'ivresse, avec la foule. Souvent la nuit nous enveloppe pour mieux cautériser les plaies intimes, juguler l'hémorragie du temps. Acte total : on fait la fête comme on fait l'amour ou le gros menteur.

« C'est ainsi que s'est terminée cette semaine de « collections » : bruits et fureur, bon chic et goût raffiné, travelos et milliardaires, champagne et petits fours. Paris sera toujours Paris » ; comme le disait Alain Pacadis, prince crotté des clubbers, dans son Jeune homme chic. Le siècle passé se consumait dans la splendide décadence de la punk music et du marketing de soi-même : Warhol était passé par là… L'hédonisme a tourné court, mais la fête est restée comme un argument massif, une banalité sociale, un monument. Actuellement c'est un argument politique : afin de chloroformer les pauvres et les électeurs.

La fête se pratique en réunion.

Les plus belles fêtes sont heureusement aussi silencieuses, improvisées. Elles ont un goût d'absence. Maintenant, elles ne se haussent pas du col : elles pourraient suivre le cours de nos existences, dans les rues, dans les pavillons de banlieue, dans les cabanes de jardin, sur les parcours de remise en forme, au bord des lacs artificiels. Au ras de nos vies, elles nous extirpent de l'oisiveté, de la peur de l'avenir, des conventions ; nos egos s'y agglutinent, comme les abeilles rentrent à la ruche.

Il ne faut pas s'en plaindre, ni en tirer des conclusions définitives.

Des confettis comme s'il en avait plu. Au mitan de la fête, le temps s'est retiré pour un temps ; celle-ci achevée, restent les confettis, piétinés sous les pas des danseurs, tassés en gros grumeaux sous l'estrade et sous les tables. Restent ces pépites de pâles couleurs. Restent des états d'âme, du fard à langage, au mieux de la nostalgie. La nostalgie étreint le cœur et l'apaise tout également, car la route nous appelle. Du collectif, on passe au particulier.
Je te suis depuis quelques années, dans le mouvement de ton œuvre. Connaissant ta lutte pour trouver ta place dans la cité, noble et antique, une lutte pacifique et altruiste, la recherche d'une douceur propre aux rencontres et à l'échange. De l'imagination, de ta dignité d'individu au milieu des autres, de la bienveillance du jouir, tu as composé comme une fête individuelle. Tout ce que tu fais est délicat, même si sous cet épiderme sommeille l'inquiétude, sous la forme parfois d'une violence contenue. On danse la trompeuse. Le danseur interrompu doit boire un verre, pour rentrer immédiatement dans la ronde. Vite.

Tu es dans la ville, à la croisée des mots, d'injonctions, expressions toutes faites. Une manière de mener ta vie : « la bonne personne au bon moment », « satisfaire les cons pour mieux après oublier », « le pouvoir de l'anonymat », « celui qui est lâché perd »… Dans ce riche nuancier, nous naviguons à vue. Tes desseins (tes dessins) chevauchent l'altérité, l'apprentissage, la solitude infrangible. Etre au monde, cela ressemble à cela. Tu défies le terrible Procrastinator.

Habituellement, comme un champignon, la maison pousse en famille. Portant, sa solitude nue est évocatrice : une porte, un toit à deux rampants, un mur de faîtage ; une porte, donc, et pas de fenêtre. La maison, comme un refuge bien entendu, aussi comme un viatique, accompagne le lac d'eau bleu. Des nappes d'arc-en-ciel les environnent. Le territoire de l'image n'est pas sur la carte d'état-major. Il faut marcher, comme le fit l'écrivain David Thoreau, pour l'atteindre. Il y a du luxe dans cet isolement. La maison célibataire en appelle rapidement d'autres pour tenir un conclave, un embryon de ville sans doute : de minuscules cubes à pans coupés se serrent sous d'imposants tourbillons de couleurs. Le maître mot est effervescence. Des vagues de maisons, accompagnées d'arbres en fuseau, des ronds comme des globes oculaires envahissent le champ visuel, un tout organique, un paysage agissant. Un paysage qui y va de l'assemblage.
L'unité de mesure de ce territoire mouvant est un petit homme taillé dans le gris. Du ton sur ton. Il n'a ni avers ni revers, aucune marque distinctive ; il se tient simplement bien sur ses jambes, comme une sentinelle. Il est là. Il se multiplie pourtant pour former comme une cordelière, une chaîne lâche de bonshommes dressés sur des tâches multicolores, au beau milieu d'oiseaux au long cou. Entre les lagunes mystérieuses, il ya toujours ces êtres humains, des repères d'individualité. Des Toi.

Plus loin, un tractopelle pousse une montagne de confettis ; ils dégueulent de la maison qui a perdu son toit. Où est donc passé l'habitant de cette maison ? La fête est finie ? Toujours dans le paysage, les animaux à vraie ressemblance, de la matière plastique acidulée tirée d'une caisse à jouets, des girafes, des vaches, des tigres, des veaux, un chien de prairie, un kangourou… un condensé de l'Arche de Noé. Une topographie de figurines enfantines, une éthologie dans une forêt de torchères vertes, toujours les arbres, ces animaux sauvages et domestiques font la paix. Le monde paradisiaque porte sa chute comme la fleur à la boutonnière.

Tu t'autofilmes, tournant sur toi-même comme une toupie, comme un derviche, au cœur des environnements grand angle de ton quotidien. Tu tournes durant de longues secondes pour te saisir de tout, de l'histoire du moment. Pour être vu et voir. Ta présence est entêtante, ta tête seule, énorme, vrillant sur le fondu enchaîné du monde. Comme la pointe du Teppaz, sur le disque vinyle, mais par un effet d'inversion. Un temps est une spirale épatante pour panacher les lieux. La spirale singe l'infini. Dans une salle, enfermés, nous donnons à voir ces projections troublantes de toi qui tourbillonne, du moi pour tout un chacun. Tout un chacun, un nid pour tous, des accointances. Double effet, centripète et centrifuge, de l'individu. Les enfants tournent sur eux-mêmes avec joie, avec application, pour tomber.

Confettis, hachis du rêve. Du rêve de la fête. Notre vanité nous poisse. Un pas cadencé nous rassure, pour venir en procession à la rencontre des autres, alors que de marcher à l'amble nous en soustrait. Coquetterie du pré carré. Il faut toujours tout négocier, la maison, le ciel, l'herbe, l'eau… jusqu'à l'ombre qui ne vient pas s'allonger fidèlement à nos pieds. Tu es comme une balise sans maître, comme nous tous.

Quand la danse reprend-elle ? Un nouveau scénario s'amorce tandis que le silence se fait. Et ceci dans un livre, beau livre qui s'ouvre sur ton visage impassible, tu as ajouté les oiseaux, les maisons et les grosses bulles… Qui multipliera des autoportraits dans des compositions denses. Le livre retrace l'histoire du bien mourir, du mourir inéluctable : l' Ars moriendi. Squelette ondoyant, élégance de l'os sec, sourire définitif et cheveu rare, la mort, comme une bonne blague, nous fait son show. Tout est Cadavere, comme disent les Africains, une joyeuse comédie sur un air de rumba. Joie de la mort qui fait des entrechats, qui se cache dans le décor (Où est Charlie ?), qui se montre, qui assure le service. Ce livre reprend des planches de la « Danse Macabre » de Hans Holbein le Jeune, saisissante série de bois gravés à l'enseigne de la mort triomphante. Elle se tient aux côtés du roi, du pape, de l'impératrice, du pasteur, du chevalier, du noble, du charretier, de la nonne, du marin, du laboureur, de l'astronome, du mendiant, du joueur, de l'enfant… Aucun traitement particulier, chacun a sa part, son destin ; la mort s'amuse de nous en nous tirant par la manche, en posant son sablier où bon lui semble. Elle entre dans la danse. Entre le vif et la mort, s'instaure comme un jeu de bonneteau : avec la certitude que tout le monde perd, les puissants comme les faibles. La danse macabre marque la familiarité avec la mort : en aucun cas, elle ne visait à terroriser les chrétiens.

Deux mondes se superposent alors, le tien, faussement paisible, et celui de ces célébrités du Moyen Âge finissant.

Des constellations bleues de bulles et de bonshommes, tête en haut tête en bas, tatouent les gravures des squelettes en liesse et des hommes plus ou moins apeurés qui les croisent ; on pourrait dire qu'elles les pollinisent. Comme un paradoxe, plutôt comme une parade à ce qui doit advenir. Les pages se succèdent, de pleines pages de verbes d'autorité, « résister », « décider », « imaginer », « pouvoir », comme des digues montées avec raison et lucidité. Plus loin, la prière ultime, fervente et résignée, des imprimeurs - ceux qui firent ce vieux livre - est amendée de tes mots secourables, comme pour conjurer cette histoire scabreuse. Au fil des pages, tu te tiens de dos dans quelques musées face à des tableaux considérables de l'histoire de l'art : à Berlin, le Portrait du marchand Georg Gisze de Hans Holbein le Jeune, à Vienne la Tour de Babel de Pieter Brueghel l'Ancien et Judith tenant la tête d'Holopherne de Lucas Cranach, à Munich l'Autoportrait à la fourrure d'Albrecht Dürer… Tu témoignes de ton admiration pour ces œuvres, en indiquant que tu étais en conversation avec elles. J'y vois de la proximité, de la gravité et une forme de méditation universelle sur l'image de soi. Etranges traits d'union dans ce livre qui mélange effroi, dérision et retour sur soi. Après la fête, on paye l'addition. Je ne doute pas un seul instant qu'on s'en moque.


Tu as ta fête des bons et des mauvais jours. Celle-ci dans son exemplarité nous réunit par les traits vacillants de la fragilité, malgré la couleur, le flux de l'aquarelle. Elle se cherche maladroitement derrière une espèce de beauté ingénue, sous un ciel sans rides. Et si la fête était simplement une affaire de style*, une stratégie toute personnelle ? Qu'il est difficile d'enfiler chaque jour un manteau d'arlequin.


* « Style: genre mal écrit comme l'élégance doit avoir l'air mal habillée » Raymond Radiguet, notes pour le Bal du comte d'Orgel. 1923

Benoît Decron, 26 mai 2013

Tout au long de l'été, partageons nos territoires !!

Poursuivons tous ensemble, le tour du monde impulsé par Dominique Lacoudre. Il suffit de nous envoyer vos auto-portraits vidéos réalisés dans les lieux de vos découvertes estivales. Nous les posterons sur cette page et elle compléterons notre collection de "carte postale vivante".